La rencontre avec Julie s’est déroulée dans son atelier, dans le 19ème à Paris. Elle le partage avec une créatrice de vetements et une céramiste. Julie est relieuse. C’est une des six lauréats 2015 du Prix de la Jeune Création Métiers d’Art, organisé par Ateliers d’Art de France. Elle travaille minutieusement le papier avec sa règle, son cutter, scalpel, et fil. Ce sont des gestes repetéés mais francs qui donnent des précieux carnets au motifs toujours délicats et raffinés.
Pour comprendre un peu plus son travail, je lui ai posé quelques questions.
01/Pour commencer, quelle est ta formation professionnelle ?
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Je suis diplômée de l’Ecole Estienne (DMA reliure dorure), promotion 2003.
J’ai une formation de seulement 2 ans en reliure. C’est très peu pour apprendre ce métier. J’ai donc continué à pratiquer pendant 10 ans, en travaillant à temps partiel à côté, avant d’ouvrir mon propre atelier il y a 2 ans.
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02/Comment le métier de relieuse t’es venue ?
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Avant Estienne, je ne connaissais pas ce métier que j’ai découvert en première année, quand nous passions dans tous les ateliers de l’école. C’était exactement ce qu’il me fallait : un mélange de technique et de créativité. Au lycée, en arts plastiques, on me disait que je réfléchissais trop ! La reliure de création demande à la fois une maîtrise des gestes, mais aussi de la créativité au service d’un projet conceptuel.
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03/La reliure est perçue comme quelque chose d’assez traditionnel, comment tu en as fait quelque chose d’innovant avec tes créations ?
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La reliure est un métier artisanal que l’on peut l’exercer de façon traditionnelle, industrielle ou artistique. Ce dernier aspect est moins connu. De mon côté, je me suis laissée guider par mes goûts et mes envies. Pendant des années, j’ai préféré travailler dans un autre domaine, plutôt que de faire de la reliure traditionnelle. Je travaillais à temps partiel dans une bibliothèque et la reliure le reste du temps. Cela m’a permis de ne choisir que des projets qui me plaisaient vraiment, c’est à dire ayant une part de création. Je me suis alors dirigée vers des commandes d’artistes, de papeterie de luxe et de reliure de création. J’ai petit à petit affirmé mes goûts, notamment pour le travail du papier et me suis spécialisée dans des structures inspirées de reliures ancestrales que je me réapproprie dans de nouvelles créations, en détournant ou accentuant les éléments fonctionnels du livre.
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04/Tu t’inspires de techniques traditionnelles japonaise pour certaines gammes de carnets, peux tu nous en dire plus ?
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En effet, le thème de la série « Aizuri-e » était de mêler la reliure à des techniques graphiques inspirées du Japon, imprimées en bleu. Chaque technique (reliure, graphisme, impression) est une réinterprétation contemporaine d’un procédé traditionnel.
J’ai par exemple travaillé le suminagashi (l’équivalent japonais de notre papier marbré), en le réalisant sur un origami. C’est cet origami, déplié, que j’utilise pour couvrir le carton de mon carnet, créant des jeux de lignes, de pleins et de vides…
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05/Tu produis en petite quantité et à la main, c’est important pour toi ?
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Oui, c’est ce que j’aime faire. La partie réflexion, conception, fabrication de prototypes est passionnante, tout comme la phase de réalisation, là où les recherches prennent une forme définitive. A la fin de ces deux phases, dans le cadre d’une série, on entre dans la répétition. Au départ, cela a un côté apaisant, méditatif… Mais au bout de quelques exemplaires cela peut devenir difficile, voir douloureux !!
Mon objectif n’est pas de m’agrandir et d’avoir des salariés. Je veux continuer à fabriquer moi-même, à prendre soin de chacun des objets qui sortira de mon atelier !
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06/Tes créations évoluent entre commandes, collaborations et initiatives personnelles ?
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En effet, j’évolue entre des commandes, par exemple de la papeterie pour les boutiques, mais aussi des collaborations quand je travaille pour des artistes et enfin les créations entièrement personnelles. Allier les trois me permet de vivre de ma passion.
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07/Où peux t on trouver tes carnets ?
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Le lancement de la collection « Aizuri-e » a lieu dans la papeterie de luxe Calligrane (6 rue du Pont Louis-Philippe, à Paris), depuis le mois de septembre. Ils sont également disponibles dans ma boutique en ligne . Pour noël, ils seront à la boutique Talent, d’Ateliers d’Art de France (1bis, rue Scribe – 75009 Paris – France).
Mon objectif est maintenant de trouver des points de vente. Depuis le salon Maison & Objet de septembre, certains se sont même envolés à Hong Kong !
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08/Le prix de la jeune création décerné au mois de juin te permet de mettre en avant ton savoir faire et te rendre d’avantage visible, quels sont tes futurs projets ?
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Grâce à ce prix, j’ai la chance d’avoir de très belles opportunités de montrer mon travail, en particulier : au salon Maison & Objet en septembre et au Salon International du Patrimoine Culturel, au Carrousel du Louvre, en novembre.
J’ai également plusieurs projets d’expositions : à l’Institut National des Métiers d’Arts, à L’Atelier. Je vais poursuivre ce projet de papeterie, avec d’autres créations grâce au soutien de la Fondation d’Entreprise Banque Populaire dont je bénéficie depuis décembre 2014.
Plus généralement, mon ambition est de développer la partie création de mon travail (papeterie, reliure de création).
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09/Tu donnes des cours d’initiation à la reliure pour Paris Ateliers ?
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J’ai commencé l’aventure de l’enseignement en donnant quelques heures d’initiation à la reliure à l’Ecole Estienne et j’ai adoré ! J’ai donc proposé mes services à Paris Ateliers, avec deux projets de cours novateurs : la reliure contemporaine et la reliure de livres d’artistes. Je suis très fière des réalisations de mes élèves (elles sont visibles sur mon blog) et ravie de constater que je parviens à transmettre ma vision de la reliure.
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10/Quelles sont tes sources d’inspirations, des artistes que tu aimes dans des domaines différents ?
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J’aime les croisements, mélanger d’autres techniques à la mienne. Je suis donc très curieuse dans des domaines très vastes. Tout ce que je vois reste dans un coin de ma tête et me sert à l’occasion d’un projet. Dans la collection « Aizuri-e », j’ai par exemple utilisé le cyanotype, une technique ancienne de photo. L’artisanat, la culture et l’esthétique japonais m’inspirent particulièrement.
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11/Quels sont tes derniers voyages ?
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J’ai voyagé au Cambodge et en Islande ces dernières années. Je prépare un voyage au Japon en mai, dans le cadre de la bourse de la Fondation Banque Populaire. J’ai notamment prévu d’y rencontrer un artisan qui m’initiera au karakami, une technique d’impressions traditionnelles japonaise.
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12/Tes coups de cœur expo ?
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David Altmejd, il y a quelques mois au Musée d’Art Moderne.
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13/Des bonnes adresses à Paris ou ailleurs à nous révéler ?
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Pour des papiers : Calligrane (6 Rue du Pont Louis-Philippe, 75004 Paris), Adeline Klam (54 Boulevard Richard Lenoir, 75011 Paris).
Pour des livres : la librairie japonaise Junku (18 Rue des Pyramides, 75001 Paris), Les Libraires associés (3 Rue Pierre l’Ermite, 75018 Paris).
Pour des gourmandises : Le Café Chinois (7 Rue de Béarn, 75003 Paris), la pâtisserie japonaise Aki (16 Rue Sainte-Anne, 75001 Paris).
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Article en collaboration avec Ateliers d’Art de France
Julie Auzillon
Relieuse
Son shop : http://julieauzillon.tictail.com/
Julie sera présente au salon international du patrimoine culturel
du 5 au 8 novembre 2015
J’avais vu la video de Mai à son sujet et tes photos donnent une vision toute en détail de son travail. C’est très agréable d’avoir vos deux regards sur cette pratique.
C’est vrai que c’est cool de voir d’un coté la video et de voir son travail en mouvement et de l’autre des petits détails sur des photographies !
C’est absolument fascinant, tout ça ! Merci pour cette jolie découverte !
Merci !!!
Un bel article sur un métier dont on parle peu, merci! bon dimanche!
C’est vrai que ce métier est plutot rare, il faut donc en parler